A la librairie "Aux illusions retrouvées"

[suite des rues]

Il ne comprit pas le rapport prénom et tutoiement, mais peut-être que Dante en faisait un lui ! Il avait l’impression de penser en double, assez perturbant en fait.. Peut-être devrait-il une sorte de surnom ou de rappel histoire de ne pas trop s’embrouiller. Bien sur, il ne le dirait pas à l’homme. Ça le gênerait plus que tout. Il acquiesça et répondit sur un ton enfantin.

« - D’accord ! »

Le blondinet hâta le pas. Le bruit du tonnerre lui avait fait l’effet d’une décharge électrique.. Il détestait ça, comme beaucoup de gens en fait. Les boutiques commençaient à défiler les unes après les autres et on pouvait constater que le nombre de personnes devenait plus important. Dante tourna au coin d’une ruelle, qui débouchait sur une sorte de cour. L’aménagement était surprenant.. Des plantes grossissaient dans d’énormes pots en terre, tandis que des rosiers s’entortillaient autour d’une aubette en fer, courant le long du métal. Au-dessus, une élégante enseigne avait comme nom "Aux illusions retrouvées". Des petites lanternes s’étaient allumés à cause du temps, qui déclinait. En fer forgé, elles rajoutaient une tâche raffinée à la cour de pierre, où se trouvait en face de l’entrée un banc en bois.

« - Je travaille ici ! C’est une… librairie spécialisée dans les ouvrages rares. »

Le lieu n’était connu que des initiés. Normal, vu le prix des ouvrages, il fallait avoir les moyens de se les offrir. De plus, ils étaient jalousement gardés par le propriétaire. Le petit vendeur avait prononcé l’activité du lieu avec une sorte d’angoisse.. Pas qu’il pensait que la culture faisait peur.. Enfin si un peu ! Pourtant, il y avait des livres très intéressants, mais bon, il était peut-être fondamentalement décalé, qui sait ? Il s’approcha de la porte et vit un petit mot, disant que le monsieur s’était absenté.

Au fond, ça l’arrangeait.. Il passa une main autour de son cou, faisant apparaître une chaîne en argent avec une clé doré au bout. Il l’enleva et glissa la clé dans la serrure après quelques cliquetis, la porte était ouverte. Dante la poussa et fit signe à l’homme d’entrer.

« - Je t’en prie ! »

Ils arpentaient donc les rues et étaient arrivés dans le quartier commerçant. Dante suivit le jeune blond dans une ruelle, puis se trouva au milieu d'une cour avec beaucoup de plantes de partout. C'était un endroit plutôt apaisant qui donnait une atmosphère onirique. Il resta donc un moment à contempler la verdure, puis se tourna vers la librairie. C'était joli comme nom de boutique, mais n'était-ce pas un peu reclus comme endroit pour une boutique?

Il hocha la tête quand Dante bis parla. C'était pour ça. Si c'était des livres rares, il était normal que la boutique soit en quelque sorte "cachée". Le mercenaire n'avait jamais été particulièrement intéressé par les livres, plutôt par les mangas. De toute manière, c'était son frère qui collectionnait tout les livres. Il en avait des centaines, et avait essayer de l'y initier, mais ça n'avait jamais marché...

"C'est... spécial comme endroit. Enfin, je veux dire... c'est apaisant..."

Il n'y avait pas vraiment de mot pour décrire l'endroit, ou alors c'était des mots trop sophistiqués pour Dante. Il s'approcha du garçon qui ouvrit la porte et le fit entrer d'abord. Il hocha la tête en guise de remerciement et dès qu'il mit un pied dans la boutique, il retrouvait les mêmes odeurs que dégageait la chambre de Vergil. Une odeur de vieux papier, agréable. Il s'avança un peu pour déposer le sac sur le comptoir et continua d'admirer la librairie.

"Eh ben... c'est... enfin bon."

Son regard fut attiré par un bouquin posé sur une petite table. Il s'en approcha et le regarda d'un air curieux. Il lui semblait l'avoir déjà vu quelque part. Puis il se tourna vers le blond.

"C'est à toi la boutique?"

Quel soulagement, pas d’affrontement ! Des livres attendaient d’être rangés sur une table en chêne. Les couvertures étaient en mauvaises états et le papier se trouvant sur l’une d’elle semblait inviter à la refaire. Quand on entrait dans la boutique, on arrivait directement dans une immense bibliothèque. Des livres étaient rangés derrière des vitrines en verre, se montrant inaccessibles. Dans un petit coin, près d’une cheminée en pierre, un petit salon avait été amménagé pour les fidèles clients ou les amateurs, qui souhaitaient feuilleter un des livres avant de l’acheter. Entre le canapé et le fauteuil en velours carmin, une petite table basse avait été disposée, où un service à thé reposait. Au sol, certaines parties du plancher avaient été recouvertes par de larges tapis aux teintes châtoyantes. Des effluves de cire, de vieux papier et de fleurs embaumaient la pièce. Dante laissa échapper un rire cristallin du aux réactions de son homonyme et déposa le sac derrière le comptoir. Au cas où un client arrivait !

« - Je suppose, que c’est assez atypique comme endroit… »

Il jeta un œil au carnet des rendez-vous, non, il n’avait manqué personne. À ce moment-là, le blond n’avait pas fait attention et releva brusquement la tête à la question. À lui ? Non, il aurait bien aimé.. Mais, non.

« - Non, je travaille pour un monsieur assez âgé. J’aimerais bien un jour… mais je ne pense pas que je pourrais avoir un tel endroit.. »

L’intonation était légèrement nostalgique, comme s’il parlait de quelque chose d’inaccessible.. Il avait hérité du goût de la littérature d’Asami. Ça le rendait sans doute ennuyeux pour les jeunes de son âge.. Ou même pour les autres.. Le bruit de la pluie battant sur la toiture lui fit penser, qu’il manquait à tous ses devoirs.

« - Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Café ? Thé ? Autre chose ? »

L'endroit donnait une atmosphère assez intime. Autant dire que c'était les amoureux de littérature qui venaient ici, et pas des gens comme Dante, non pas qu'il n'appréciait pas lire, mais ce n'était pas vraiment une passion. La librairie était vraiment gigantesque, et ses yeux s'arrêtèrent à la cheminée, au petit coin de lecture et enfin aux vitrines, ainsi qu'aux tapis. Peut-être pourrait-il décorer son appartement dans le même genre? Il verrait plus tard...

"Pourquoi pas? J'ai l'impression que t'aimes vraiment cette boutique."

Et puis si ce monsieur âgé n'allait pas vivre indéfiniment non plus. Mais il se tut. L'endroit ne semblait pas être le genre à avoir beaucoup de salariés, et le mercenaire en déduit qu'il n'y avait que Dante bis et le vieillard. La pluie commença à tomber et il regarda au dehors, les yeux dans le vague avant de reporter son attention au blond. Ils avaient bien fait de se dépêcher, sinon ils seraient déjà trempés.

"... Un café ça ira, merci."

Il ne voulait pas demander s'il y avait des soda ou de la bière, et ne pensait pas vraiment qu'il y en ait ici de toute manière. Et le café le réchaufferait également, pas qu'il est spécialement froid mais boire une boisson chaude par temps de pluie était toujours agréable, surtout quand on était au sec. Il continua donc à inspecter la boutique, mais sans rien oser toucher, ne voulant pas casser ou abîmer quelque chose, surtout un livre rare.

Dante passa une main dans ses cheveux, dégageant ses mèches de devant ses yeux. Tiens, il devait aller chez le coiffeur. S'il les gardaient trop longues, il serait tout à fait capable de s'étouffer avec en dormant le nuit...

"Ca fait longtemps que tu travailles ici?"

Dante s’activait tranquillement, rangeant des affaires par-ci, par-là. En plus, des fidèles, il arrivait que des gens se consacrant à des recherches aussi bien en peinture, en science ou autre domaine, viennent feuilleter les livres en quête d’informations. C’était un plaisir de les aider et de rencontrer des personnes passionnées.. Elles restaient pour la journée ou venaient plusieurs jours d’affilés ! Ça faisait de l’animation dans la librairie. Le long d’un mur, il fit glisser la haute échelle de bois sur les rayonnages et monta pour ranger, ce qui traînait, puis il nota soigneusement dans son cerveau que l‘homme désirait un café et répondit à sa première remarque.

« - C’est vrai… Mais la passion ne fait pas tout ! »

Il se dirigea vers un escalier qui ouvrait sur une pièce surélevée. Il prépara un café en veillant de ne pas trop le faire fort. Maintenant la boutique embaumait le café torifié, une odeur plaisante et incongru pour un tel lieu. Posant la tasse sur un plateau, ainsi qu’un petit pot de porcelaine contenant du sucre, une petite cuillère et un petit pot à lait, parce qu’il ne connaissait pas les goûts de Dante, alors il valait mieux tout mettre à disposition ! Le blond descendit et posa le tout sur la petit table basse.

« - Bientôt un an.. »

Un an déjà qu’il n’avait plus vu Uriel. Un an, qu’ils ne s’étaient pas parlé, ni même échangé le moindre courrier. Ses yeux se portèrent sur l’âtre de la cheminée.. Vide, tout comme sa vie sans son frère. Une cheminée, où crépite un bon feu de bois, ça réchauffe le cœur.. Est-ce qu’il avait perdu son feu ? Il s’assit dans le fauteuil et lui jeta un regard presque intrigué. Il avait un style plutôt .. Relâché ? Non, ce n’était pas le mot. Il ne savait pas trop quel mot utilisé, mais il était sur, qu’il ne devait pas travailler dans l’administration ou un secteur dans le genre !

« - Et toi ? Tu travailles dans quoi ? »

Dante regarda le jeune homme ranger des livres en montant sur une échelle, puis redescendre pour cette fois-ci monter un escalier pour préparer un café et il revint finalement. Le boulot de libraire n'était pas vraiment de tout repos, surtout quand on a une boutique aussi grande que cela. Il se dirigea vers la petite table où le blond posa le plateau et s'assit dans un des fauteuils, regardant le feu dans la cheminée qui rendait la pièce plus intime peut-être. En tout cas, ça réchauffait...

Le mercenaire se dit que ce serait agréable d'avoir un simple travail comme cela. Simple était un bien grand mot, et il ne voulait pas dire qu'être libraire était à la portée de tout le monde. Juste un métier tranquille, qui plaise vraiment. Et Dante bis semblait énormément apprécier de travailler ici, vu comment il prenait soin de tous les livres. Il mit un peu de sucre dans son café avant de porter la tasse à ses lèvres, légèrement surprit par le liquide chaud qui lui brûla un peu la langue. Il releva les yeux à la question posée.

"Hmm, dans quoi je travaille? Juste un petit boulot à tout faire. Je ne travaille donc pas tout le temps, mais c'est assez imprévisible comme travail alors je m'adapte."

L'homme se fit une note mentalement de préparer un réel discours à propos de son travail car son explication était un peu beaucoup vague et douteuse qui plus est. Il continua à boire sa boisson, appréciant le goût amer, et reporta son regard sur le feu. C'était joli, mais si on essayait de le toucher, ce qu'il avait tenté de faire étant plus jeune, on le regrettait bien vite.

"Donc ça fait un an que tu es venu ici? Avec de la famille?"

Dante se souvenait encore de son premier jour ici. Il s'était tout simplement déboîté l'épaule, et était donc allé à l'hôpital. Au moins il avait fait une nouvelle connaissance. Un ami médecin, c'était toujours pratique...

La tête calée contre le dos du fauteuil, il regardait son vis-à-vis. Apparement, le café n’était pas mauvais, mais trop chaud. Il en fut rassuré. Ce n’était pas évident de préparer un café pour un inconnu. Pour les personnes plus proches, on connaissait les goûts, les habitudes, les manies… Discrètement, Dante prit un morceau de sucre et le glissa dans sa bouche le laissant fondre à moitié. Il attendait sagement, qu’il réponde à question. Ça l’intriguait énormément à vrai dire. Avec ses cheveux blancs et fins, son allure peu conventionnel.. Même s’il savait, qu’il fallait se méfier de l’apparence.

Pourtant la réponse ne fut pas aussi précise, qu’il l’aurait pensé. La description lui semblait assez étrange et douteuse était vraiment le mot adéquat. Mais bon, chacun faisait ce qu’il lui plaisait, non ? Alors peu importe le métier, qu’on exerçait si on l’aimait. Comme il n’avait pas toutes les cartes en main, au lieu de se contenter d’un « ah » empli d’étonnement ou d’interrogation, il dit simplement.

« - Bah si tu aimes l‘imprévu. »

Ça sonnait comme une constatation énoncée sur le ton de la confidence. Ton adopté involontairement.. Chacun son intérêt pour son métier. Lui, il aimait les livres, leur donner une seconde jeunesse, discuter avec les clients exigeants, se montrer méticuleux.. Peut-être que Dante lui préférait l’aventure, l’action ? Sa question lui rappela des souvenirs, qu’il essayait non pas d’oublier mais de tenir à distance. Enfin, on faisait comme on pouvait.. L’atmosphère intimiste de la pièce lui parut teinter d’une douce nostalgie.

« - Non, nos pères vivent tous les deux et mon frère s’est marié. J‘ai fait la fin de ma scolarité ici et j’ai réussi à trouver ce job. »

Ses yeux se fermèrent lentement.. Trop de souvenirs s'amoncelaient dans son esprit. Un instant, il fit le vide et passa à autre chose. Il massa doucement la paume de ses mains, puis retourna la question à Dante.

« - Et toi ? Tu vis avec ta famille ? »

Dante haussa les épaules et finit son café. Il n'aimait pas spécialement l'imprévu, mais vivait dedans depuis toujours alors il s'y était en quelque sorte 'habitué'. Le travail ne lui plaisait pas forcément toujours, car il n'avait pas l'âme d'un serial killer et en plus, il devait faire attention par-ci et par-là, toujours vérifier ses plans cents fois avant de les mettre en actions, en prévoir de secours... Bref, le plus vite il aurait ce qu'il voulait, le mieux ça sera pour qu'il puisse enfin quitter et prendre sa retraite. Il avait tout de même amassé une petite fortune pendant ses quelques années, et n'avait que vingt-huit ans.

Il fronça les sourcils, se demandant s'il en avait vraiment vingt-huit ou pas. Puis il se gifla mentalement. Il en avait vingt-six... S'il n'arrivait même plus à se souvenir de son âge, il allait vraiment finir par se faire tuer la prochaine fois. Enfin, le mercenaire posa délicatement la tasse en porcelaine sur le plateau, regardant Dante bis qui semblait ressasser son passé, chose que lui n'aimait absolument pas faire.

"Non. Mes parents sont morts quand j'étais jeune et mon jumeau est parti je ne sais où il y a cinq ans, et n'ait pas de nouvelles depuis."

Ce qui était sûrement pour le mieux. Après tout, ils ne s'étaient pas quittés en bons termes. C'était le grand froid entre eux, et la complicité qu'ils avaient partagé durant l'adolescence n'était qu'un vieux souvenir, presque oublié. Pourtant, le mercenaire donnerait cher pour retourner dans le temps, au moment de l'insouciance.

Le bruit du crépitement dans le cheminée le détendait, et il ferma les yeux un moment, écoutant la pluie qui battait toujours contre les vitre au dehors, comme si elle voulait venir à l'intérieur, venir s'insinuer dans sa tête. C'était un jour de pluie quand Vergil était parti, et ça, il s'en souvenait très bien...

"Je pourrais revenir ici? Même si je ne lis pas et n'achète rien?"

Dante se sentait coupé du monde ici, et cela lui faisait du bien. Il pouvait faire le vide dans sa tête, mais ne pas être seul, sentant la présence du blond à ses côtés. Cette pensée le fit légèrement sourire et il rouvrit les yeux pour regarder le jeune homme.

Un bras sur l’accoudoir, il l’écoutait sagement. Il avait le regard d’un élève studieux, qui écoute la leçon de son professeur. Pas évident d’être seul… D’être sur d’être seul… Bien sur d’un côté, on coupe les attaches, on se libère, mais de l’autre… Dante se posait des questions sur les relations de jumeaux, mais il le garda pour lui se sentant gêné d’avoir retourné la question. Le jeune homme se frappa mentalement et sans s’en rendre se mordit la lèvre, avant de souffler timidement.

« - Je suis désolé.. »

Pendant le moment de silence, le regard de Dante se posa sur un des tableaux de la pièce. Il s’agissait d’une œuvre d’un artiste quelconque. On pouvait reconnaître le trait et le style si particulier de l’école flamande.. Mais ce qui attirait son attention, comme un fil d’Ariane, était le ciel. Ce ciel aux accents tantôt bleus, tantôt gris, aux teintes qui se mélangeaient avec harmonie, illustrant une sorte de tourmente indicible et indescriptible. Quand, il ne se sentait pas bien, il la fixait avec l’impression, que ce conflit ou sa tristesse se laissait absorber par la peinture et lui permettait de sourire, comme il le faisait.

Dante avait réfléchi en se demandant si les noms ou prénoms avaient une influence. Lockheart. Si on avait pas forcé son frère à se marier, ils seraient probablement dans une relation encore plus fusionnelle, avec les dangers, qu’elle représentait et son univers malsain. Dès qu’il essayait de s’échapper de la cage de son frère, c’était uniquement pour mieux revenir vers lui. Triste à dire, mais le blondinet avait du mal à être sans son aîné.

Il croisa son regard.. Sa tête pivota un instant pour l’éviter, juste avant de planter des yeux amusés dans les siens. Ses sourcils se levèrent montrant un air clairement surpris. Drôle de question… Il n’y avait aucune exigence et même si un non-lecteur pouvait paraître incongru, il ne dérangeait nullement ! Sa voix se fit mélodieuse et légèrement taquine.

« - Bien sur ! La maison ne pousse en aucun cas à la lecture ou à l‘achat ! »

Une sonnette se fit entendre. Dante se leva et se dirigea vers la porte..

Il ouvrit la porte et laissa entrer le vieil homme. Oui, il était vieux, mais avait un regard particulièrement juvénile. Ses yeux pétillaient de malice, comme s’ils étaient habités par des milliers d’idées. C’était sans doute, pour ça que Dante l’aimait bien. Sa silhouette vouté contrastait avec celle de son vendeur, qui se tenait droit comme un i, la tête haute. Pourtant, il ne s’en rendait pas compte. Tout de suite, il s’empressa de s’excuser et promis de rester travailler plus longtemps pour compenser son absence. Mais comme réponse, il lui fit un geste de la main, le coupant dans ses excuses. Une voix, travaillée par les ans, s’eleva doucement dans une série de « non, pas question. ». Il avait une aide, qui passait bien trop de peu de temps à s’amuser… Il fallait qu’il songe à se détendre. D’une main, l’homme ajusta ses lunettes et jeta un œil à sa boutique. L’ordre y régnait, mais un élément inconnu était dans le décor.. Demandant quelque chose au blond, il s’avança de l’inconnu.

Visiblement, il ne semblait pas de ceux, qui aimaient la lecture. Mais au moins, il avait l’audace d’ouvrir l’ouvrage ! Combien faisaient la grimace, rien qu’à la vue d’une couverture ? Trop, selon lui. Il lui adressa un sourire, tandis que ses doigts taillaient avec espièglerie sa moustache poivre et sel. Il s’agissait bel et bien d’un homme et non d’un jeune homme au sens, où à priori, il ne sortait pas de l’adolescence. Non, il était adulte. Poliment, il s’inclina, tout en disant un « bonsoir » agréable. Le propriétaire s’apprêta à nouveau à parler, mais sa phrase s’interrompit à « pourrais-je vous… », car le blondinet avait fait vite, il voulait éviter les certaines réflexions ou questions devenues habituelles. Il arriva, ainsi au beau milieu de ce dialogue à sens unique, presque honteux de déranger par sa présence. Il tendit dans un geste solennel à son employeur, un carnet à couverture en cuir rouge. Une couverture reluisante, comme s‘il était neuf.

« - Voilà monsieur..
- Très bien mon garçon.. Je vais me retirer. Bonsoir.. »

Il s’inclina vers Dante et fila comme une ombre. Pas besoin de poser des questions, les réponses viendraient d’elles-mêmes. Et ça, le petit vendeur le savait.. Il finissait toujours par tout lui dire à un moment ou un autre. Ses yeux se posèrent sur le livre, qu‘il prit avec délicatesse. La position n’était pas exactement là-même. Son esprit connaissait par cœur, ce sur quoi il avait passé du temps. Donc quelqu’un y avait touché..

« - Plutôt hardue comme lecture et encore beaucoup de travail dessus… »

La deuxième partie montrait une touche de désespoir.. Il avait l’impression de n’être qu’un piètre ouvrier, qui peinait à refaire ce qui existait déjà. Après tout, il ne faisait que restaurer.. Avec un esprit méticuleux.

« - Ça ne te dérange si je te laisse un instant le temps de j chercher mon matériel ? »

Dante regarda le vieil homme s'avançait vers lui. Malgré son âge, il semblait être une personne encore jeune dans l'âme et dynamique, ses yeux le prouvant. Quand il le salua, le mercenaire fit de même et le gratifia d'un sourire. Le blond interrompit leur sorte d'échange en tendant un carnet rouge qui piqua légèrement sa curiosité. Il hocha la tête quand l'homme partit et regarda Dante bis s'attardait sur le livre qu'il avait précédemment prit. Peut-être n'aurait-il pas dû, mais il l'avait déjà fait de toute manière.

"Je n'ai strictement rien compris, et ne sait même pas si c'est la même langue que je parle..."

Puis il secoua la tête à la question du jeune homme. Ca ne le dérangeait absolument pas, après tout ce n'était pas à lui de décider de ce que le vendeur voulait faire dans sa boutique. Lui était juste de passage. Il allait donc voir une restauration de livre en direct. Voilà une expérience de plus à rajouter à sa panoplie, qui n'était guère fameuse à vrai dire.

"Je t'en prie."

Dante regarda donc le garçon partir chercher ce dont il avait besoin et se frotta les yeux. Une petite sieste serait pas mal, mais il ne pouvait se le permettre ici. Il repensa au vieillard, et retira ce qu'il avait pensé auparavant, comme quoi il allait mourir un jour, car l'homme moustachu semblait en pleine forme et loin du sommeil éternel. Puis il passa une main dans ses cheveux blancs. Personne n'était à l'abri de la mort de toute manière, et elle faisait bien vite d'emporter sans aucune pudeur la vie.

Etant à présent seul, il repensa de nouveau à son frère, sa moitié et son contraire avant de soupirer bruyamment et d'attendre patiemment que Dante bis revienne.

Le livre se referma bruyamment, montrant que les années passées n'avaient touché en rien sa vigueur. Dante savait quand il pouvait se permettre d'agir ainsi. Il esquissa un mouvement de tête en avant et partit en direction de la pièce légèrement surelevée. Il avait l'air nonchalant, touchant du bout des doigts les longues étagères bien remplies. On aurait pu croire, qu'il était chez lui. Des bruits de tiroirs, que l'on ouvre, que l'on ferme, se firent entendre. Très brefs, ils disparurent au bout de quelques secondes, laissant place aux bruits de pas.

Dante revint avec une petite boite en bois. Le coffret tenait facilement entre ses mains. La couverture du livre faisait parti des commandes un peu particulières. Il arrivait qu'une histoire symbolique attirait un acheteur, qui souhaitait l'offrir à un de ses proches. Le blond s'accroupit devant la table basse. Quelle couverture faire ? Elle devait être originale, simple et esthétique. Il griffonna quelques mots sur un papier qui trainait , quand la remarque de Dante revint à son esprit.

"- C'est en latin... L'histoire est plutôt sombre. Un homme balancé entre la douceur et la folie se lie avec son neveu, qui doit partir enfin de servir un dieu. Mais les deux hommes se retrouvent enchainés l'un à l'autre à cause de leurs sentiments... Après cela prend une tournure assez surprenante ! "
Ses doigts couraient sur la couverture. Il avait volontairement pris le partie de ne raconter que la trame de l'histoire. A vrai dire, si elle présentait une part si romantique, le fond était d'une cruauté remarquable.

"- Mon frère aimait bien ce récit.. Dis tu étais très proche de ton jumeau ? Uriel et moi, nous l'étions, même si... si nous n'étions pas vraiment frères, mais que demi-frères."

Pourquoi parlait-il de ça ? Les mots sortaient d'eux-même..

Dante entendit des tiroirs s'ouvrir et se refermer, puis les pas du jeune vendeur. Il revint avec une boîte en bois, et s'installa à la table basse. Le mercenaire l'observa méditait, avant de griffonner quelque chose sur un papier et de lui raconter un résumé bref de l'histoire. C'était donc bien du latin! Il n'était peut-être pas aussi bête que ça finalement... Le récit l'intrigua un peu, mais il ne le lirait sûrement jamais de toute manière. C'est alors que Dante bis lui demanda s'il était proche de son jumeau.

Il resta silencieux un moment, réfléchissant à la réponse qu'il allait donner. Il s'appelait donc Uriel, et les rencontres prédestinées n'existaient pas. Au bout d'une minute ou deux, il n'avait toujours pas trouver d'explication pour leur relation complexe.

"Proches, oui, pendant un certain temps. Je dirais depuis la naissance, jusqu'à notre majorité. Après, on a commencé à aller chacun de son côté, et un gouffre s'est formé, nos idées étant trop opposées."

Il 'omit' le fait de dire qu'ils avaient déjà eu des rapports tabous. Enfin, qui allait crier sur tous les toits qu'il s'était fait son jumeau... Peu de gens, peut-être même personne. Il ne le regrettait pas, cela avait été une expérience intéressante. C’était plus le fait que Vergil ait initié cela qui l’avait choqué, et lui ne voulait pas vraiment au début. Dante observa le blond, se demandant pourquoi il avait hésité un moment en parlant d'Uriel. Ce n'était pas vraiment ses affaires mais bon...

"Et ton frère est marié à présent. Tu le vois de temps en temps, ou plus du tout?"

La majorité aurait du être la raison.. Mais si leurs parents n’avaient pas agi, ils seraient probablement encore ensemble. Etrange façon de pensée… Surtout dans le « ensemble »… Après tout, ils n’étaient que demi-frères, non ? Non, mais le petit est indépendant maintenant. Il songea quelque chose avait du se passer entre l‘homme et son jumeau… On ne se sépare pas d’une personne dont on est horriblement proche du jour au lendemain. Les fils emmêlés, s’effilochent et restent à terre souvent en attente d’être réparés. Une question anodine se fit entendre, vraiment par pure curiosité. Dante songea qu’il devrait sans doute corriger ça, mais bon, vu que ses discussions se limitaient au vieil homme…

« - Est-ce que ton frère porte le prénom du philosophe qui guide Dante ? »

Machinalement, il tritura une de ses mèches, les yeux rivés sur une bibliothèque. Il l’avait couvé ou enfermé dans une cage selon les préférences en grandissant. Une sphère confortable, que le blond aimait. Un hâvre de paix loin des tumultes et loin des autres. D’où, un problème d’adaptation. Avant, Dante passait pour le cadet qui était protégé par son aîné, maintenant, il avait le statut de l’associable de service, ne cherchant pas spécialement à se faire des amis. Lors de la fête des premières années, Uriel avait été très stricte là-dessus, personne à la maison, personne avec Dante.

« - Plus du tout… »

Une trace de regret pouvait se sentir dans l’intonation de sa voix. Ça lui manquait plus que tout. Au fond, il avait de la compassion pour l’homme qui vivait avec son frère. Uriel pouvait être exécrable, quand quelque chose ne lui convenait pas et ce mariage ne lui avait pas plus. Une sorte de froid polaire devait régner chez eux. Le jour de la nouvelle, Dante avait quitté la maison sans prévenir et n’était rentré que 3 jours plus tard. C’était un de ces jours de pluie, un de ces jours, où notre façon d’agir nous échappait, nous renvoyant à un autre nous-même. Le froid le rassurait.. La sensation de ses membres qui tremblaient et se glaçaient… Peut-être devrait-il se renseigner pour savoir s’il était toujours avec quelqu’un… Cependant ce serait aller à l’encontre du choix parental. Était-ce vraiment une bonne idée ? Ne fallait-il mieux pas qu’il continue sur son propre chemin ? Et au pire, s’il n’y parvenait pas, qu’est-ce qui l’empêchait de disparaître…Trop de suppositions comme d’habitude.

Une idée de motif lui vint à l’esprit.. Un lys autour duquel serpentait une salamandre.. Il quitta sa position non-productive et prit un petit bout de carton au fond de la mallette, pour en faire une ébauche. Ne jamais foncer tête baissée ! L’esquisse finit par prendre en forme, laissant un vendeur plutôt perplexe. Hm, qu’allait en penser le destinataire ? Il n’arrivait pas à avoir de bonnes idées et poussa d’un geste dépité le carton. Y a des jours avec et d’autres sans. Enfin comme son avis n’était pas vraiment impartial, demander un avis serait une bonne idée.

« - Qu'est-ce que tu en penses ? »

Soudainement, une détonation perça le silence. Une rayure jaune fendit l’air s’abattant quelque part. Le blondinet ferma les yeux et les rouvrit lentement. La pluie, ça passait mais pas les orages. Il serait bien caché dans un placard, mais contenta de baisser la tête, trouvant son attitude stupide.

Une relation totalement hérétique. Il irait en Enfer, mais pour de bon, entraînant son frère avec lui dans sa descente, et personne ne viendrait les guider. Personne n'avait jamais été là pour les remettre dans le droit chemin de toute manière. Ils s'étaient renfermés sur eux même, ne laissant que peu de personnes les approcher, bien que de l'extérieur, on aurait cru le contraire, surtout pour Dante qui était toujours entouré de diverses personnes.

Tout avait commencé quand le mercenaire avait atteint l'âge de la puberté, et donc était intéressé par tout ce qui touchait les plaisirs charnels. Son frère, possessif, n'avait pas supporté l'idée qu'il aille voir ailleurs, et l'avait donc en quelque sorte forcé. Mais le jumeau était d'un penchant un peu sadique, et il n'était pas rare que Dante ressorte de leurs ébats avec des cicatrices ou autres. Au fond, c'était juste sa façon maladroite de lui montrer à quel point il l'aimait, ou du moins c'était ce que lui voulait croire.

Il eut un sourire vague à la question du vendeur blond. Lui aussi semblait plus attaché à son demi-frère qu'il n'y paraissait, et ce devait encore être un point commun entre eux. Il le regarda avec son air de regret, et remarqua que ses yeux semblaient lointains et peut-être tristes?

"En effet, bien que ce soit Vergil et non Virgile. Notre père seme raffolait de la Divine Comédie, mais pensait que Virgile n'était pas un nom assez viril, et il le changea légèrement."

Maintenant qu'il y pensait, il lui serait facile de retrouver son aîné, aîné car lui était né quelques minutes plus tard. Il se demanda comment leurs retrouvailles seraient. Pas très chaleureuses en tout cas... Il n'y avait jamais eu de grandes effusions entre eux, même si dans sa jeunesse, il lui avait maintes fois sauté dessus pour l'irriter. Mais cela avait juste été par pure taquinerie.

Son attention se reporta sur Dante bis qui semblait avoir eu une idée pour la couverture du livre, mais qui ne semblait pas vraiment le satisfaire. Lui l'aimait bien. Le dessin représentait bien le contenu du livre. Ca lui faisait pensé à l'innocence perdue, et le bonheur tâché. Ce n'était pas très joyeux, mais le récit non plus n'avait pas l'air de l'être.

"J'aime bien. Je pense que tu devrais garder ce motif. Mais je ne suis pas un expert en la matière non plus..."

Le tonnerre gronda, et l'homme resta indifférent. Pas comme le jeune blond qui baissa la tête. Aurait-il peur des orages? Il se souvint avoir eu peur aussi quand il n'était qu'un gamin, et que ses parents l'avaient rassuré en lui racontant comment un éclair se formait, et qu'il n'y avait pas de danger s'il restait tranquillement dans la maison. Il avait toujours une légère appréhension, et se glisserait à chaque fois dans le lit de son frère.

Il rit doucement face à l’argument. Peu viril certes, mais le sens du prénom était plus important et puis bon, l’antiquité était bien connu pour ses pédérastres. La virilité n’était-elle pas plus importante en actes qu’en apparence ? Peut-être avait-il cette impression à cause leur père seme. Malgré son prénom aux sons doux, il ne restait pas moins un individu sévère et stricte. D’ailleurs pour lui, la clé d’une éducation réussie comportait ces deux points. Laissez-faire ne menait à rien. Si l’esprit souple de Dante lui permettait de vivre paisiblement, son frère avait toujours eu énormément de mal. Pourtant, il ne s’agissait que de règles basiques. Si on mettait de côté l’obligation formel pour Dante de faire du piano.. Bon c’était son père uke qui avait insisté sur ce point. Ce qui n’allait pas vraiment avec le masque qu’il aimait porter. On pouvait très bien lui étiquetter « méfiez-vous de l’eau qui dort ». S’il était d’une nature calme, on ne pouvait pas lui faire n’importe quoi, non plus. On veut bien être gentil, mais il ne faut pas abuser non plus.

Masque... Peut-être temps de le remettre. Il s’était raccroché aux paroles de Dante afin d’éviter de sombrer dans ses songes, parce qu’une fois pris dans leur écheveau, il lui fallait des jours avant d’en sortir. Tirant sur les mots comme on s’accroche à une corde, il finit par dire.

« - Vergil, il fallait y penser… Au fait tu as lu le livre ? »

Il se tapota les lèvres avec son index. Il penchait plus pour l’option du ‘non’ mais bon, il avait envie de savoir. Il avait la vague d’être entre deux eaux. Même absent, son frère le déstabilisait. Il s’étira avec l’envie de se laisser tomber sur le sol, ce qu’il fit au fait. Il croisa les bras derrière sa nuque et souffla sur ses mèches les faisant tomber juste sur ses yeux. La remarque de Dante lui tira un sourire, surtout les derniers mots. Le choix d’une couverture était trop subjectif pour être placé au stade de fiable. La marge d’erreur était importante, quand on y réfléchissait, mais c‘est ça, qui était terriblement excitant.

« - On est jamais un expert dans son domaine. L’apprentissage est quelque chose de perpétuel ! »

Parfois, il avait l’impression de penser comme ‘un vieux’. Il n’était pas un flambeur, ni impulsif, sans doute était-ce pour cela. Après tout, le blond n’avait que 19 ans et était déjà très posé dans sa tête et ses actes. Il faisait même la morake à son frère. Au fur et à mesure, il se calma et ne réagit plus à la moindre rayure dans le ciel. La pluie d’orage est-elle bienfaitrice ? Souvent, il s’était posé cette question… D’un bond, il se redressa et se rassit dans le fauteuil. Après avoir posé un bref regard sur son dessin, il tourna la tête vers Dante.

« - Et quelles couleurs d’après toi ? »

Bah quoi ? Y a pas de mal à demander un coup de pouce… Et puis, ça l’intéressait vraiment !

"Ca va paraître surprenant mais oui, je l'ai lu."

Bon, il ne se souvenait pas de grand chose, mais son frère l'avait carrément obligé de le lire, presque à lui en faire bouffer les pages s'il ne le faisait pas. Il lui assurait que c'était pour son bien et que ça lui servirait plus tard. Prédiction qui s'avérait fausse, pour le moment. Dante regarda le libraire s'étirer, avant de se laisser tomber. Vraisemblablement, il ne tenait pas sur place, ou alors il ne désirait pas rester inactif et penser à des choses peut-être désagréables.

Ce qu'il dit le fit sourire d'ailleurs, car c'était vrai. On en apprenait tous les jours, même si la vie paraissait vraiment ennuyeuse parfois, et cruelle. Il resta un moment pensif, regardant le dessein pour la couverture. Le mercenaire n'avait pas vraiment d'idée précise, mais des couleurs simples et épurées.

"Je dirais qu'il faudrait laisser blanc pour le lys, et la salamandre... Um, je sais pas trop. Rouge foncé peut-être, un peu bordeaux. La couleur du sang."

Et cette couleur, il l'avait déjà vu maintes fois. Ses mains étaient depuis longtemps tâchées et souillées. Il ne se souvenait même plus quand est-ce qu'il avait commencé ce métier, et ne le regrettait pas de toute manière. On pouvait dire qu'il était vraiment un crevard pour oser faire ça, tout comme son uke lui avait dit d'ailleurs. Mais ce qu'il faisait était bien aussi, parfois.

[Dizoulée, pas d'inspi T_T]

Une chance sur deux, heureusement qu’il ne s’était pas mouillé. Il lui tira la langue comme un gamin aurait fait en se rendant compte, à quel point ses pensées étaient prévisibles. Cependant il ne s’étendit pas sur le livre, ce qu’il aurait probablement fait avant.. Mais tout était une question de souvenirs. Et puis avant, c’était avant. Pour l’instant, son travail le préoccupait. L’idée de Dante lui plaisait bien.. Oui, simple.

« - Carmin… Le sang sur la neige… C’est très joli… »

D’un point de vue totalement esthétique, cela s’entend.. Parce que la vue du cadavre effleurait sa sensibilité, tout de même. Donc à moins de vouloir le rendre insomniaque pour une durée d’un mois, il valait mieux ne pas lui montrer un mort, sauf s’il n’y avait aucune trace de torture ou acte de barbarie notoire. Dante repensa au métier de l’homme, masquant la petite flamme de curiosité qui ne demandait qu’à apparaître dans ses prunelles. Il trouvait que l’air de son interlocuteur semblait vouloir dire, qu’il connaissait bien un sujet lié au sang. Et puis la façon de finir sa phrase… Un petit côté dramatique. Si on ajoutait à cela la description extrêmement floue…

Voilà maintenant il cherchait le mot. Son père seme lui avait parlé d’un métier dans cette veine. Il avait failli le faire étant jeune, mais il avait réussi à se ranger. Le blond se rappelait de l’appréhension dont il avait fait preuve. Mais, il ne l’avait pas jugé. Pour lui, la sphère de l’homme était identique à celle des animaux, les chasseurs, les chassés, les tueurs, les tués, ceux qui imposent les règles et ceux qui les suivent. Bien sur, il pensait que les actes de rebéllion avaient leur place de même que devenir le juge suprême de quelqu’un ne devait pas exister. Qui a le droit d’emmener vers la mort ? Sauf, si cette dernière est une réelle délivrance.

« - Mercenaire ? »

Le mot était sorti tout seul, n’ayant aucun rapport avec la discussion, quand un bruit de porte éclata à l’étage et que le vieux monsieur apparut endimanché. Paradoxalement son employé, se tournait les pouces, si on pouvait dire ça comme ça. Pas que cela gênait le blond, il était habitué le voir ainsi de temps en temps. Et puis, il n’avait rien à lui cacher… Raison de plus pour être tout à fait naturel. Lorsqu’il le vit s’avancer dans leur direction, le blond quitta le fauteuil et alla à sa rencontre. Après un bref échange, il pensait que c’était bon. Erreur fatale. Le propriétaire le dépassa et alla saluer Dante pour enfin se diriger vers la porte.

« - Et n’oublie pas que tu dois quitter la boutique dans une heure ! Sortir te fera le plus grand bien ! »

Ses bras restèrent ballants le long de son corps. Pourquoi avait-il dit ça aussi fort ? Il avait tout de même pas envie, qu’on le pousse à quitter les lieux… Vite fait, il se reprit et afficha un sourire assuré, alors qu’il pensait évidemment le contraire.

« - Oui, oui… »

Une fois, la porte refermée, le blondinet rejoignit le siège, tout en faisant un signe de la main en l’air comme pour signifier ‘faut pas faire attention !’. Il resterait faire de l’archivage et se planquerait pour éviter les remontrances. Enfin, il se serait bien passé de cette remarque devant quelqu’un… C’est pour cette raison, qu’il évitait soigneusement le regard de Dante.

Dante eut un sourire amusé à la réaction du jeune homme quand il lui tira la langue. Il le regarda penser, toujours à propos de sa couverture. Le blanc et le rouge se mariaient très bien, tout comme le rouge et le noir. Et puis, cela donnait un air un peu épuré, ces couleurs si simples mais qui renfermaient tant au fond. De toute manière, il avait toujours aimé le rouge, et cela se faisait ressentir dans son style vestimentaire. Lui était un brasier ambulant, et son frère un glaçon immobile, d'où la couleur bleue de ses fringues.

Le vendeur semblait plongé dans ses pensées, et il sut immédiatement à quoi il pensait, mais ne dit rien, laissant le silence planer. Il posa son bras sur l'accoudoir et sa main dans le creux de sa joue. Le mercenaire ne faisait pas vraiment d'efforts pour cacher son métier, ce qui était embêtant. Il était venu à Oanka rien que pour ça en plus, mais à chaque fois qu'il rencontrait quelqu'un, ou presque, ils savaient tous ce qu'il faisait. Bon, c'était normal pour son uke... et l'autre docteur, ce n'était pas sûr qu'il le sache, ni Azrael d'ailleurs. Mais lui avait la nette impression que tous savaient. Cela ne l'angoissa aucunement. Finalement, Dante bis prononça le nom de son métier.

Une porte claqua et Dante se retourna. C'était le vieillard de tout à l'heure. Il regarda le blond se lever pour discuter avec, n'entendant pas de quoi ils parlaient, avant que le vieil homme ne le dépasse et vienne le saluer une nouvelle fois, et il lui rendit la pareille avec un léger sourire. Finalement il partit et le jeune libraire revint s'asseoir. Lui pouffait de rire, une main plaquée devant sa bouche. Il se calma après quelques instants et le regarda en s'essuyant des yeux rieurs.

"Vraisemblablement, tu ne sors pas beaucoup. Ca te dit d'aller quelque part 'dans une heure'?"

Un sourire taquineur flottait sur ses lèvres. Il avait été en quelque sorte sauvé par le gong, sauf si Dante bis remettait sur le tapis cette histoire de boulot. Ca serait embêtant, car Yuki était son uke, il avait donc le droit de savoir, mais que quelqu'un d'autre découvre son identité, cela poserait plus de problèmes...

"Alors si je résume, fleur de lys blanche et salamandre rouge carmin?"

Heureusement, qu’il n’était pas particulièrement imbu de lui-même. C’est vrai, qu’il n’avait jamais eu le droit de pouvoir mettre souvent le nez dehors.. La fois, où c’était arrivé et qu’il n’avait pas prévenu son aîné, il l’avait retrouvé à la maison, prêt à lui faire comprendre sa douleur… Une autre fois, il l’avait ramené manu militari sans lui en expliquer la raison. Comment vous allez expliquer à vos amis, que votre Au bout du compte, il s’était habitué… Habitué à tout. A ses crises de jalousie, à ses petites vengeances corporelles, à ses piques incessantes. En plus, d’un côté Uriel lui rendait un grand service, car il ne tenait absolument pas l’alcool. Donc bye, bye, les situations bien embarrassantes, après on pouvait le faire boire, si on avait une idée derrière la tête.

Pour imaginer la réaction que déclenchait l’attitude de Dante chez lui, il suffisait de penser à un gosse qui battait des bras dans tous les sens, les sourcils froncés en hurlant de préférence, ‘ça suffit !!!’. De l’extérieur, il avait un air faussement piqué, mais on voyait à son regard, qu’il ne le prenait pas mal. Il glissa une main dans ses cheveux et posa son bras sur l’accoudoir. Bon prince, il lâcha sur un ton détaché.

« - Ce n’est vraiment pas drôle… »

Même s’il voyait très bien la facette amusante qui s’en dégageait et qu’il la comprenait. Par chance, il ne portait pas de lunettes. Comme ça, il évitait d’être assimilé au rat de bibliothèque ! Il jetta un coup d’œil aux cartons. De la façon, dont ils étaient disposés, il pouvait très bien voir qu’ils ne nécessitaient aucun travail supplémentaire. Pff, une conspiration ? Même le travail était contre lui ! Peu convaincu, il fallait le dire, il concéda

« - Pourquoi pas.. À priori, ça peut pas me faire de mal… »

Il avait l’impression d’avoir loupé quelque chose… Ah ouis, sur le mot mercenaire.. Il regarda Dante un instant puis mit ça de côté. Après tout, chacun son métier avec ses raisons de l’exercer. Il haussa les épaules surtout par rapport à sa refléxion personnelle.

"- Exactement ! J'espère que le client aimera, faudra que je lui demande de passer..."

Dante garda le sourire, malgré les propos du libraire. Oui, il savait que c'était pas très gentil de se moquer, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Après tout, rares avaient été les occasions où il avait vu une situation aussi comique. Le vieillard semblait être une personne bien intéressante. Ce pouvait être une bonne idée d'essayer de le connaître un peu mieux. Il se redressa dans son siège et croisa les jambes, son corps s'étant un peu trop engourdi, et le feu dans la cheminée n'arrangeait rien à cela.

Il hocha la tête d'un air nonchalant. Où pourraient-ils allé plus tard? En plus la pluie avait l'air de s'être calmée, ce qui était une bonne chose. Ils pourraient juste aller boire un verre dans un pub et puis voilà tout. De toute façon, le mercenaire ne savait pas ce qu'il y avait à faire dans cette ville. Il était allé dans des magasins, à l'hôpital, au parc et au host club, voilà tout.

"Tu as une idée précise d'où tu veux aller tout à l'heure?"

Dante bis semblait avoir lâché la grappe à propos de son travail. Tant mieux, il ne désirait pas s'expliquer et ne voyait pas pourquoi il aurait dû en fait. C'était sa route, son chemin, tout ce qu'on voulait, bref son choix dans la vie. Il jeta un coup d'oeil au motif du lys et de la salamandre une nouvelle fois. Peut-être qu'il devrait essayer de lire quelque chose tiens. Il était possible qu'il ait un soudain intérêt pour la lecture. Très peu probable, mais qui ne tente rien n'a rien...

"Tu as encore du boulot à faire?"

Car sinon, ils pouvaient partir maintenant. La chaleur et douceur de la pièce l'engourdissaient légèrement, et il se sentait un peu endormi. Dante se frotta les yeux et enleva ses mitaines, ses mains étant moites. Il mettait toujours des gants, surtout à cause de la moto. Depuis qu'il l'avait acheté, il ne s'en séparait plus. C'était bien plus maniable qu'une voiture, et on s'y sentait plus libre dessus. Il les rangea dans la poche de son pantalon et regarda au dehors.

« - Absolument pas… Je connais à peine la ville ou plutôt voir pas du tout pour être honnête… »

Mais il le vivait plutôt bien. Quand on a très peu de contact, on perçoit les choses différemment. Au début, il avait bien penser continuer de études et puis finalement, il avait atterri ici. Il n’allait pas se plaindre ! Un employeur gentil et arrageant, un endroit calme avec des livres, un emploi du temps variable et tout ça pas très loin de chez lui, même s’il était capable de s’endormir sur son lieu de travail. Ça lui évitait de rentrer à son appartement et de se retrouver seul. Enfin pour compenser, il mettait la musique à un volume suffisamment élevée, quand cela lui prenait. Sinon, il restait à méditer ou à dessiner dans son salon.

Le regard de Dante lui tira un sourire. On avait l’impression, qu’il n’osait pas spécialement ouvrir un livre. Il y avait un style pour chacun.. Le blond était persuadé, que chaque personne pouvait trouver son bonheur dans la littérature sans forcément se pencher sur des pavés ! Ses doigts se mirent à bouger, tandis qu’il pensait à son travail. Cartons presque vides, livres rangés, commandes préparées.. Commandes à préparer. Il claqua des doigts, voilà ce qu’il devait faire. Il passa derrière le canapé tout en lançant à l’homme.

« - Il y a des ouvrages de poche très accessibles, si tu ne veux pas te prendre la tête avec la lecture, tu sais ! »

Rendu au niveau du comptoir, il s’empara du combiné du téléphone, tandis que ses doigts composaient un numéro. Prenant sa voix la plus douce et la plus attractive possible, non pas commerciale, ce n’était pas son genre, il demanda à son interlocuteur, quelles étaient ses disponibilités pour passer à la librairie au sujet de son cadeau. En 10 minutes, tout était réglé et scrupuleusement noté. Que demandez de plus.

« - J’ai fini mais je suis un véritable fardeau, tu sais… »

Qu’y avait-il de mal à essayer de décourager quelqu’un ? En plus, il se sentait gêné vis-à-vis de Dante.. Bah oui, il l’avait aidé et passé une bonne partie de l’après-midi à la librairie. Ça faisait vraiment le boulet, que l’on doit se traîner partout.

Dante passa une main dans ses cheveux. Bon, ils iraient tout simplement dans un café ou un bistrot boire quelque chose. Cela avait l'air d'être le genre d'endroits que le blond apprécierait. Il commença à jouer avec ses mèches sur son front, avant de regarder le jeune homme quand il claqua des doigts. Celui-ci se leva pour se diriger vers le téléphone, vraisemblablement pour appeler le client et lui demander de passer quand il aurait le temps. Le mercenaire garda un air songeur à sa réplique. Oui, il pouvait toujours essayer.

Il se leva donc et alla voir s'il y avait un de ces ouvrages dans cette vaste bibliothèque, mais rien que de poser le regard sur tous ces étalages remplis, cela le décourageait déjà. Dante tourna la tête en entendant parler le libraire. Ils pouvaient donc y aller, mais il voulait tout de même acheter un de ces livres de poche.

"Moi aussi je suis un boulet la plupart du temps, t'inquiètes pas. Dis, tu as un de ces bouquins de poche? Je pense que j'en prendrai peut-être un..."

L'Apocalypse était arrivée, car Dante Sparda allait acheter... un livre! Lui, l'inculte suprême, qui refusait strictement de s'adonner à ce genre de loisirs, se moquant toujours de son frère plongé dans sa lecture, qui lui faisait bien regretter par la suite d'ailleurs, allait acheter de son plein gré un bouquin!

"Et puis, on peut aller boire un café plus tard si tu veux? Ou si tu as quelque chose a acheter en particulier, on peut aller à la galerie marchande."

Il proposait juste des idées en l'air. Et puis au pire, ils pouvaient aller regarder un film. Ca faisait longtemps qu'il n'était pas allé au cinéma d'ailleurs et puis il pourrait visiter la ville lui aussi, n'étant là que une semaine ou deux.

La façon que Dante eut de le rassurer l'amusa.. Principe de la comparaison des cas. Puis, il parla du livre de poche... Le jeune homme avait dit ça comme ça, sans songer que cela l'intéresserait vraiment !
Sur le coup, il avait pensé à une plaisanterie. Mais étant donné, qu'il s'était levé et avait commencé à jeter un oeil aux étagères.. En plus, il avait l'air très sérieux...

Quittant son reposoir, le blond alla le rejoindre. Mauvais rayonnage ! L'homme ne trouverait que des livres en langues anciennes, ici. Doucement dans un geste enfantin, il tira sur la veste de Dante, juste pour lui dire de le suivre. Alors qu'il lui tournait le dos et se dirigeait vers le fond de la bibliothèque, il se mit à lui poser quelques petites questions.

"- Dépend.. tu aimerais quel style ? Action ? Thriller ? Avec ou sans hémoglobine ? Aventure ? "

Dante fit glisser un panneau de bois laissant découvrir une impressionnante collection de livres de poche. Il y en avait pour tous les goûts, des plus anciens au plus récents. C'était une suggestion du blondinet à son propriétaire au départ.. En réalité, il venait piocher dans cette réserve géante, dès qu'il avait un moment de libre. Bah oui, il pouvait en lire plusieurs tranquillement...

Pendant que Dante réfléchissait, le blondinet faisait de même. Non, aucune course à faire. Et au pire, s'il était pris d'insomnie, il irait dans un de ces cafés nocturnes... Cela lui arrivait un peu trop à son goût ces derniers temps.. Mais bon, peut-être ne se faisait-il pas à son rythme de vie ? Ou se promener la nuit lui plaisait beaucoup ?

"- La solution du café me convient très bien !"

Entre temps, il s'était glissé à terre. Les jambes pliées en tailleur, il leva la tête vers l'homme en souriant. Bon, quand on le voyait comme ça, on pouvait avoir de sérieux doutes sur son professionalisme. Pourtant, c'était vraiment son rayon. Pour la sortie, il n'était vraiment pas difficile. Du moment, qu'il pouvait faire un peu le vide, tout lui allait. Lorsqu'il était dehors, il ressemblait à ces boussoles dont l'aiguille est tellement affolée, qu'elle ne sait vous guider. Silencieusement, il entrecroisa ses doigts, attendant que Dante lui dise ce qu'il préférerait..