Visite

La voiture se stabilisa sur le parking extérieur. Jezabel détacha sa ceinture et avisa à travers la vitre ce grand bâtiment blanc imposant. Un sourire courut sur ses lèvres.
Mitsukuni descendit et claqua la portière, imité par son cadet. Ils avancèrent vers l'entrée de l'hôpital. Les portes automatiques s'ouvrirent devant eux, et la fraîche bouffée d'air climatisé leur caressa le visage. Mitsukuni alla droit à l'accueil pour échanger quelques mots avec des employés tandis que Jezabel balaya les débuts de couloirs et d'escaliers où allaient et venaient toutes sortes de gens. Un groupe d'infirmiers passant près de lui le scruta avec intérêt avant de murmurer entre eux. Jezabel ne leur accorda qu'une brève attention et rejoignit Mitsukuni.

-"Shiro-sempai !

En voyant ce jeune homme aux longs cheveux argentés s'accouder nonchalament auprès de Mitsukuni, les employés avec qui discutait l'homme restèrent bouche bée.

-"Docteur... ce... c'est votre amant..?"

Jezabel se mit à rire d'un air mystérieux.

Jezabel avait souri autant que Mitsukuni avait froncé les sourcils. Les employés n'en avaient été apparement que plus intrigués. Leurs murmures ne dérangeaient pas Jezabel, étant donné qu'il aimait bien surprendre les gens et voir leurs têtes déconcertées.
Ah, il n'avait pas la tête d'un uke ? Jezabel n'était pas imposant non plus. N'ayant jamais pratiqué de sport, il n'avait pas développé de carrure d'athlète et était resté d'une finesse ambigüe. Beaucoup se questionnaient quant à sa nature sexuelle.

On dirait d'Abel qu'il est plutôt uke, de Jez plutôt seme... Et moi, entre les deux ? Je ne sais pas...

La vie confinée dans les labos ne l'avait pas vraiment éclairé sur tout ça. Mais il s'en fichait un peu.

Il suivit son aîné à travers les couloirs, scrutant attentivement son grand dos blanc.

-"Vous différez vraiment d'attitude entre ici et chez vous, Shiro-sempai ! Je me sens plus à l'aise que vous alors que vous êtes habitué aux lieux depuis plus longtemps que moi... "

Jezabel songea que ces deux facettes complètement opposées du médecin ressemblaient assez à celles de ses frères. Cette idée le détendait d'autant plus. Ainsi, il avait fait le bon choix en venant frapper à sa porte !
En entendant Mitsukuhi lui égrener les noms des salles, le jeune chirurgien acquiesçait d'un hochement de tête et d'un "hmm" jovial. Ah, leurs casiers étaient à côté ? Quelle chance !

-"Je vous verrai donc souvent, Shiro-sempai... Cette perspective me fait très plaisir..."

Cette phrase fut accompagnée d'un sourire flamboyant. Jezabel avisa son casier vide et pensa qu'il ne serait pas assez grand pour contenir tous ses accessoires. Qu'à cela ne tienne, il avait l'habitude de s'étaler dans son laboratoire. Personne ne lui dirait rien là-dessus, il le savait.
Il regarda d'un air captivé la longue chevelure ondulée que Mitsukuni ramenait souplement dans son dos. Ces cheveux clairs sur un large dos blanc donnèrent envie à Jezabel de s'y blottir. Mais évidement, il n'en laissa rien paraître.

-"J'apprendrai au fur et à mesure, Shiro-sempai. Si j'ai des questions, je viendrai simplement vous embêter de temps en temps !"

Jezabel souriait d'aise à l'idée de poursuivre la visite avec Mitsukuni lorsqu'ils furent interrompus par l'arrivée de quatre infirmiers tenant un brancard où était étendu un jeune homme sanglant et secoué de spasmes.

-"Vite s'il vous plaît... Docteur Shiro, docteur Kain... Vite...."

Jezabel réagit immédiatement, sans attendre la demande de son aîné. C'était son domaine, c'était son milieu. Il accéléra le pas pour accompagner les nouveaux-venus jusqu'à une grande pièce des urgences.

-"Amenez-moi immédiatement une blouse neuve". ordonna-t-il à un infirmier.

Il se pencha sur le blessé en affichant un air impeccablement neutre. Le jeune homme avança la main pour lui agripper le bras en haletant :

-"Docteur... j.. j'vais m'en sortir ?"

Jezabel se dégagea sèchement et se tourna vers le reste des infirmier.

-"Passez-moi les scalpels."

On lui amena une blouse blanche, qu'il enfila prestement avant d'aviser l'équipe médicale tétanisée.

-Les scalpels, répéta-t-il d'un ton calme et autoritaire.

Les infirmiers, ne devant pas être habitués à ce qu'un nouvel arrivant prenne ainsi directement les choses en main, ne bougèrent pas et regardèrent vers leur supérieur. Jezabel scruta alors à son tour le visage songeur de Mitsukuni.

-"Shiro-sempai... Il faut faire vite."

Une moue passagère habita le visage de Jezabel. Son aîné ne le connaissait pas encore ! En un clin d'oeil, il avait repéré ce dont il fallait s'occuper sur ce corps meurtri.
Sans prêter attention à l'agitation d'alentour, ni aux protestations gémissantes du jeune blessé, le chirurgien saisit les scalpels qu'on lui tendait et les fit briller devant lui à la lumière blafarde des néons. Un sourire tordit ses lèvres charnues.

-"Ne le laissez pas faire..! hurla le jeune homme en tentant de se débattre sur sa couchette, Son... son regard... c'est un fou !"

La ferme poigne des infirmiers le plaqua en arrière sur le dos. On lui apposa ensuite un masque sur le visage. Il retint son souffle pendant un court instant, puis fut obligé de respirer ; son corps se détendit brusquement.
Jezabel se pencha au dessus de lui en approchant les scalpels. Le bras du jeune homme était déchiqueté, le sang empêchait de voir correctement les nerfs. Cependant, avec sérénité, le jeune chirurgien pétrit la chair morte du bout de ses doigts gantés. Avec son toucher sensible, il reconnut la structure des articulations et des membranes à travers le gluant liquide pourpre. Soudain, il arrêta de tripoter le bras et planta ses fines lames d'un coup net et précis.
Dans la pièce, tout le monde retint silencieusement sa respiration.
Jezabel s'affaira sur le membre mort d'un air très concentré, sectionna plusieurs nerfs, emmêlant d'autres pour stopper l'écoulement du sang. Bientôt, le bras fut détaché proprement du reste du corps.

-"C'est à vous, Shiro-sempai !" déclara Jezabel avec enthousiasme en se redressant sous les regards hébétés des infirmiers.

Jezabel respira profondément. Cette pièce où flottait l'odeur crue du sang et du désinfectant, cette pièce noyée de néons, il y appartenait. Il s'y sentait parfaitement à l'aise comme s'il avait constitué un élément indispensable à elle, comme un angle de mur ou bien un carreau.
Tandis que les infirmiers décampèrent sur l'ordre de leur supérieur, le jeune chirurgien s'était écarté pour laisser faire son aîné. Il le regardait comme il regarderait un miroir, avec la même attention satisfaite et troublée. En cet instant, Mitsukuni semblait le reflet de Jezabel, avec ses longs cheveux clairs, sa blouse blanche, son visage concentré et serein, en résumé cette beauté froide rappelant celle des pierres.

-"Le sang vous va bien, Shiro-sempai..." susurra le jeune homme en suivant des yeux les grandes mains adroites qui s'appliquaient à soigner le blessé.

Mitsukuni se sentait tout à son aise dans cette pièce où la mort était juste à la porte... Oui, il ferait tout pour sauver le jeune homme ensanglanté et il savait que Jezabel aussi... Mais il ne le regardait pas, il recousait, nettoyait doucement après avoir renvoyé tous les infirmiers inutiles de la pièce... Il ne voyait pas pourquoi ils restaient alors que d'autres blessés avaient besoin d'aide...

Mitsukuni ne leva même pas un oeil au "compliment" de Jezabel mais un léger sourire froid orna ses lèvres alors qu'il finissait de nettoyer et de bander le moignon... OUi, il aimait le sang, il aimait vivre dans cet atmosphére... Il leur fallut un long moment pour finalement arriver à sauver le jeune homme de la mort et lui permettre de vivre plus ou moins bien...

"C'est finit... Je vais rapeler les infirmiers... Ils le laveront et le mettront dans une chambre."

Le médecin blond se leva, il retira gants et blouse pour aller chercher des infirmiers et faire un geste à Jezabel pour qu'il le suive. Il avait besoin de boire un verre et était sur que le jeune chirurgien aussi. C'était rare de pouvoir sauver un jeune homme dans cet état et c'était un nouvel "exploit" au palmares de Mitsu.

"Allons boire un verre...Docteur Kain...."

Devant la mine que son aîné avait arborée juste après sa remarque, Jezabel songea que c'était la première fois qu'il voyait Mitsukuni sourire. Cela le conforta dans son idée : ils étaient tous deux de la même espèce, celle des marionnettistes du corps humain, qui jouent avec la vie et défient sans cesse la mort. Deux marionnettistes aux mains rouges...

Jezabel lâcha un petit rire discret. Il avait enfin trouvé quelqu'un de sa nature. Mais ce qu'il ne pouvait comprendre pour l'instant, c'était qu'il était le seul à s'être emmêlé dans ses fils.

Les soins se terminèrent bientôt, au grand dépit de Jezabel. Il suivit Mitsukuni hors de la pièce et hocha la tête à sa proposition. Boire ? Si c'était la coutume... Mais le jeune chirurgien aurait tout aussi apprécié de rester là à poursuivre la visite. Pour lui, avoir sauvé le garçon revenait à un acte banal, presque insignifiant. S'il ne l'avait pas sauvé, cela aurait revenu au même. En fait, cela aurait été pratique : à peine arrivé à l'hôpital, il aurait déjà eu un cobaye pour tester de nouvelles expériences.

Lorsqu'un infirmier lui demanda respectueusement s'il pouvait le débarrasser de sa blouse, Jezabel secoua la tête en prétextant qu'il avait froid. En réalité, il aimait garder contre lui ce tissu fraîchement taché. C'était rassurant.

-"Où m'emmenez-vous maintenant, alors, Shiro-sempai ? questionna-t-il dubitatif.